Reportage choc: les conditions de vie des Juifs d'Europe au temps d'Hitler*
Auschwitz et Birkenau (p.33)

Auschwitz est une ville du sud-ouest de la Pologne, située non loin de la frontière tchécoslovaque. Pour s’y rendre en train depuis Terezín, on passe Prague, on continue vers l’est en direction de Moravská Ostrava et puis, en prenant vers le nord, on entre en Pologne. C’est une région de mines de charbon, d’aciéries, de grandes usines et d’une grande pauvreté. On avait besoin de centaines de milliers de travailleurs dans les usines d’Auschwitz. Quoi de plus efficace que d’employer une main d’oeuvre non payée et réduite en esclavage ? Lorsque ces prisonniers étaient devenus trop faibles pour travailler, on s’en débarrassait et ils étaient remplacés par d’autres esclaves. À quelques kilomètres d’Auschwitz, les nazis avaient construit leur horrible invention du vingtième siècle : les usines de la mort. Un dispositif de meurtre de masse sans précédent dans l’histoire des civilisations a été mis au point par les Allemands dans les années 1940 : des chambres à gaz et des crématoriums. Le lieu s’y prêtait : une adresse inconnue avec de vastes plaines, facilement accessible par voie de chemin de fer. Le nom de ce lieu : Birkenau.

 

Birkenau était notre terminus, c’est là que nous nous rendions. Le train qui nous transportait était un train à bestiaux. Il n’y avait pas de fenêtres mais d’étroites fentes sur le côté du train permettaient de faire entrer un peu d’air. Il y avait juste assez d’espace dans notre wagon pour nous permettre de nous asseoir ou de nous allonger sur le sol. On nous avait fourni de la nourriture pour une journée et de vieilles couvertures. Le voyage a été lent et, par moments, le train restait immobilisé pendant des heures. Personne ne savait où nous allions, ni combien de temps cela prendrait. Il y avait des personnes âgées, des enfants, des hommes et des femmes.

 

Le fait que notre famille soit réunie apportait une certaine dose de réconfort. Nous avons quitté Terezín tôt le matin, alors qu’il faisait encore nuit. À la tombée de la nuit, certaines personnes ont commencé à être malades et à paniquer. On pouvait entendre des disputes à mesure que la tension montait. Mon père avait sa sacoche noire de médecin et, durant la nuit, il a fait des injections à plusieurs personnes malades. Il était tard dans la nuit quand nous sommes arrivés. Les portes des wagons à bestiaux ont été ouvertes de l’extérieur. Elles avaient été fermement scellées à Terezín avant notre départ.

 

Des SS allemands en uniforme donnaient des ordres : « Vite, sortez du train. Mettez-vous en rangs par cinq le long de la ligne de chemin de fer ! » Nous avons remarqué des hommes portant des tenues à rayures noires et blanches qui ressemblaient à des pyjamas. C’étaient les prisonniers. Ils nous ont dit que nous étions à Auschwitz. Bientôt on nous a fait monter, tels un troupeau, dans de grands camions. On a fermé les portes et allumé les moteurs. Le peu que je pouvais discerner de l’extérieur offrait un étrange spectacle : de longues rangées de lampadaires, un paysage parfaitement plat, de hautes barrières de fil barbelé en lignes parfaitement droites et des miradors occupés par des soldats déplaçant des projecteurs. On se serait cru sur une autre planète.

 

Les camions se sont arrêtés. Dans le noir, j’ai remarqué qu’il n’y avait que des hommes. On nous a rapidement poussés pour nous faire rentrer dans une grande baraque. Une fois à l’intérieur, on nous a ordonné de nouveau de nous mettre en rangées de cinq. On nous a dit de déposer tout ce que nous possédions sur une pile et de nous déshabiller. C’était la dernière fois que je voyais la belle montre et le beau stylo que j’avais reçus de mes parents pour ma Bar Mitzvah. Nous sommes restés debout, nus, un long moment à frissonner. L’un des gardes allemands a ouvert grand les portes, laissant entrer  l’air froid de l’extérieur. C’est alors que s’est produit un étrange incident. Deux hommes d’un vingtaine d’années ont été précipités à l’intérieur à travers la porte. Ils avaient le teint jaune et ils étaient si maigres que l’on voyait leurs os. Ils avaient presque l’air de sauvages. Quelqu’un leur a jeté un morceau de savon et ils ont commencé à se battre pour l’avoir, pensant que c’était de la nourriture. Je n’avais jamais vu des êtres humains se comporter de la sorte. Ils n’avaient probablement rien mangé depuis des jours.

 

Puis on nous a conduits dans la salle suivante qui était équipée de douches. De l’eau tiède est sortie des pommes de douche pendant une minute seulement. J’ai détourné les yeux lorsque j’ai remarqué mon père nu à côté de moi. Après la douche, on nous a de nouveau conduits dans une autre longue salle. Il y avait des piles de chemises déchirées, de sous-vêtements, de chaussettes, de chaussures et d’uniformes de prisonnier rayés noir et blanc. Nous n’avons pas eu le temps de choisir les bonnes tailles si bien qu’une fois habillés, nous avions l’air complètement informe. Après cela, on nous a brutalement rasés sur tout le corps et on nous a tatoué le bras. Nous nous tenions en rangs avec la manche gauche relevée. Un homme est entré et au moyen d’un objet aiguisé, d’un mouvement rapide, nous a piqué la peau afin de tatouer notre bras gauche. J’ai reçu un numéro à six chiffres que je porte encore aujourd’hui, 46 ans après. Je suis devenu le numéro 168329 du camp de concentration.

 

Il faisait encore sombre lorsque l’on nous a poussés à l’intérieur des camions. On nous a transportés sur une courte distance et nous sommes entrés dans le camp en traversant un portail bien gardé et en passant sous le haut fil de fer barbelé. C’était là que nous allions passer les six prochains mois.